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christine.vancauwenberghe-hoet[at]univ-lille[POINT]frChristine Hoët-Van Cauwenberghe est agrégée d’histoire, docteure en histoire romaine, maître de conférences HDR à l’Université de Lille et actuellement directrice de l’École doctorale SHS Lille Nord de France. Elle a remporté, avec son équipe, le Prix Valorisation MESHS Senior 2018 pour l’atelier « Regards croisés sur le sel ». Elle nous en dit plus sur les raisons de sa candidature et le rôle de la valorisation orientée « grand public ».
Qu’est-ce qui a motivée votre équipe pour déposer votre candidature au Prix Valorisation ?
J’ai posé ma candidature pour un travail collectif sur le sel et la société, débuté par des études sur le sel dans l’Antiquité. Notre équipe (Armelle Masse, Gilles Prilaux, Séverine Clément-Tarantino, moi-même et nos collaborateurs), qui est impliquée au sein du laboratoire HALMA et du laboratoire de Génie Civil et géo-Environnement (LGCgE EA 4515, Michel Dubois et ses collaborateurs), a vu l’appel à candidatures envoyé par mail. Nous avons considéré que nous répondions tout à fait au profil indiqué.
En effet, nous avions conçu, dès le départ en 2013, notre projet de recherche et notre action de manière globale, c’est-à-dire de l’analyse scientifique fondamentale à son appropriation par la communauté universitaire large, par le public grand et petit, scolaire, souffrant de handicap, de tous âges, de milieux sociaux défavorisés ou non, mais aussi en envisageant l’évolution du regard sur le sel jusqu’à nos jours.
Quelles ont été les grandes étapes de ce projet ?
Il s’inscrit dans la durée. Nous avons débuté en 2013 par une première journée d’étude, puis nous sommes montés en puissance jusqu’à un colloque international en 2017 avec une expérimentation archéologique, une plaquette grand public, un livre paru aux Presses Universitaires du Septentrion, une exposition à la Maison de l’Archéologie du Pas-de-Calais qui venait d’ouvrir ses portes à la satisfaction des professionnels de l’archéologie et du public, un livret d’explication et de jeux (gratuit), une participation active à la Fête de la science…
Nous avions rédigé une plaquette de présentation de notre atelier scientifique. Elle était distribuée gratuitement sous forme papier et téléchargeable également gratuitement sur le blog Insula de la Bibliothèque des Sciences de l’Antiquité (Campus Pont -de-Bois). Cette bibliothèque, dont nous apprécions le soutien par l’intermédiaire de son responsable C. Hugot, et le centre Lilliad (Campus Cité scientifique) ont d’ailleurs reçu et mis en valeur des échantillons de sel (Michel Dubois, Josette Rivallain), du matériel et des cartels explicatifs (coll. de Tarek Oueslati) pour avoir une ouverture tous publics (exposition-vitrine). Nous avons également expliqué notre recherche dans la revue universitaire Archimède.
De quelle manière avez-vous fait de ce projet de recherche un travail collectif ?
Nous travaillons dans la pluridisciplinarité au sein de notre laboratoire et dans l’interdisciplinarité par le regard croisé que nous donnons de notre objet d’étude, le sel dans l’Antiquité et sa réception jusqu’à nos jours, en nous ouvrant à d’autres institutions. Nous avons mis en présence, et intégré à l’équipe, les géologues minéralogistes pour connaître les spécificités de cette substance et ses ressources naturelles. Les littéraires, les épigraphistes, les philologues, les historiens se sont penchés sur les questions d’usages du sel, de l’organisation sociale et de l’économie du sel. Les médecins, les nutritionnistes nous éclairent sur les raisons des besoins physiologiques en sel pour l’homme et les limites de son usage.
Cette approche comparatiste permet de faire avancer la réflexion en matière d’image et de gestion de la ressource, et de développer également une approche évolutive. Cela nous a aussi servi pour que l’autre comprenne notre recherche : le chercheur d’abord, mais mais nous avons aussi été capables de montrer le produit de notre recherche sur le sel à l’époque antique de manière concrète à des non-spécialistes.
Quels ont été vos partenaires pour ce projet de recherche ?
Nous avons reçu le soutien de diverses institutions, publiques et privées : au premier chef, le laboratoire HALMA et le laboratoire de Génie Civil et géo-Environnement ; mais aussi le laboratoire IRHiS (UMR 8529), le service Relations Internationales de l’Université de Lille, l’Institut d’études anciennes et médiévales de l’Université de Laval, au Canada, la Maison de l’Archéologie du Pas-de-Calais et du Parc de Samara (Somme) qui ont joué un rôle déterminant, et bien sûr la région Hauts-de-France, la MESHS, le Museum d’Histoire naturelle de Paris, l’Institut Pasteur.
Deux entreprises ont adhéré à nos projets en nous apportant un mécénat en nature. Il s’agit de l’entreprise de salaisons Corrue & Deseille installée à Boulogne-sur-Mer qui a préparé le repas du colloque dans les locaux de l’exposition. La Finarde, qui est un fromager-affineur installé à Arras, nous a fait le plaisir d’être présent lors d’un week-end d’ouverture de l’exposition. Il a fait déguster au public son fromage tout en nous expliquant le rôle du sel dans le processus de fabrication et de conservation. Nous avons eu l’opportunité de bénéficier du label Recherche et Innovation qui a été précieux pour l’organisation et la communication du colloque international de 2017.
Qu’est-ce que l’attribution de ce Prix vous a apporté, à vous mais aussi à vos partenaires ?
Ce prix a accru notre visibilité scientifique et nous a donné un signal positif pour poursuivre notre recherche. Nous avons été en mesure de publier le volume 2 de Sel et société dans d’excellentes conditions. Nous remercions vivement la MESHS de nous avoir aidés à la publication et permis en particulier d’avoir les photographies couleur de ce volume.
Notre action s’épanouit ainsi dans la perspective d’une histoire du sel en plusieurs volumes. Nous envisageons un troisième volet à notre recherche en nous engageant vers l’analyse de la culture du sel de l’Antiquité à sa réception. Nous avons pris la mesure de tout le vocabulaire et des expressions actuels liés au sel qui se sont en réalité cristallisés dans l’Antiquité gréco-romaine, « ça ne manque pas de sel », « le sel de la terre », le « salaire », la « salade » etc..
Comprendre l’exploitation et la consommation du sel dans l’Antiquité nous a fait prendre conscience d’un socle culturel qui s’était créé alors. Nous voulons en déterminer les mécanismes et les analyser dans le cadre de nouveaux projets (projet ANR pour la campagne 2021, I-SITE etc.).
Le projet de recherche semble prendre une belle ampleur...
Oui ! Pour poursuivre notre action, et stimulés par le prix, nous avons renforcé la communication. En 2019, j’ai participé à un teaser, réalisé par la Cellule Valorisation de l’Université de Lille, pour mettre en évidence, lors de la Fête de la science dans le Village des Sciences de la gare Saint-Sauveur, l’atelier que nous avons proposé. Nous nous sommes mobilisés tant pour les scolaires que pour le grand public familial. Le soutien de la MESHS nous a permis d’acquérir du matériel supplémentaire pour les ateliers.
Par ailleurs, nos partenaires non-académiques ont été réceptifs à nos attentes. Les montages de partenariat prennent du temps car il faut convaincre, expliquer, pour monter les dossiers, mais les résultats sont au rendez-vous et toutes les parties sont satisfaites.
À titre d’exemple, nous avons pu négocier l’illustration de la première de couverture du tome 2 grâce au tome 1. J’avais repéré ce beau caïman de l’Amazonie photographié par Mark Cowan lors d’une mission scientifique de l’Herpetology Division at the University of Michigan, qui a reçu le prix spécial de photographie de la Royal Society Publishing en 2016. L’animal arbore une couronne de papillons colorés qui viennent s’abreuver à ses larmes (lacryphages) car elles contiennent le sel nécessaire à leur survie. Mark Cowan, le photographe, par le truchement de cette Society, nous a librement autorisés à utiliser cette photographie magnifique pour notre livre et nous lui exprimons toute notre reconnaissance.
Que représente la valorisation de la recherche, dans votre discipline et votre carrière ? Quelles en sont les conséquences dans la formation doctorale, pour les doctorants et jeunes docteurs ?
Ce défi nous a permis de confirmer que notre équipe était solide, réactive et passionnée et que notre thème de recherche bénéficiait d’un intérêt tout à la fois académique, mais aussi grand public !
J’ai renforcé mes liens avec Ombelliscience, qui organise la Fête de la science en région Hauts-de-France, et la cellule Valorisation de l’Université de Lille, et nous avons créé un partenariat dans le cadre de l’École doctorale SHS 473 Lille Nord de France, que je dirige, pour que les doctorants puissent bénéficier d’avenants à leur contrat doctoral.
L’objectif est qu’ils puissent expliquer leur propre recherche par le biais d’interventions en lycées, d’articles grand public, de participation à la Fête de la science… Nous avons, cette année, engagé notre deuxième campagne de recrutement, six doctorant·e·s bénéficient de ce dispositif.
Le bénéfice de la valorisation dans la formation doctorale est un atout indispensable, il permet au jeune chercheur de s’ouvrir à la communication de ses travaux à d’autres, il renforce son dossier de compétences.
Nos travaux au sein de l’atelier sur le sel ont toujours associé des doctorant·e·s, de jeunes docteurs ou des post-doctorant·e·s.
L’une des jeunes docteurs qui participaient à notre colloque, Katia Schörle (Doctorat en Archéologie, Université d’Oxford, en 2015, Visiting Assistant Professor en Archéologie, Université de Brown, USA, en 2017-2019 et ATER en Histoire et archéologie des mondes anciens, Université Nice-Côte d’Azur, en 2019-2020), ayant répondu à l’appel à communications et dont l’article est publié dans le volume 2, vient d’être recrutée au CNRS. Ses travaux sur l’Afrique du Nord romaine, dont celui sur l’exploitation du sel, ont été remarqués avec succès.
D’ailleurs, si nous obtenons de nouveaux financements pour poursuivre notre action, nous envisageons de recruter un doctorant et/ou post-doctorant sur le thème du « sel de la terre ».
Quel conseil donneriez-vous aux potentiels et futurs candidats ?
Il est important d’oser se lancer dans ce type de candidature. La réussite à ce concours nous a permis de gagner en confiance et nous a renforcé dans la conviction que notre projet était solide et valait la peine d’être partagé. Je suis et nous sommes très fiers de ce prix et très reconnaissants à la MESHS de cet encouragement à aller plus loin et à se dépasser pour mieux toucher le public.
En savoir plus
Le sel de l'histoire, de la terre à la recherche (Courrier Picard du 30/04 - 01/05/2019)
Actualités de la recherche sur le sel
Retrouvez les Prix Valorisation Junior et Senior 2018
Entretien réalisé par Raphaël Lamiral et Pascal Pennequin, septembre 2020
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