Qu'est-ce qu'une mauvaise exposition ?
Une journée organisée par Dork Zabunyan dans le cadre du projet émergent « L'exposition et ses mutations » (co-animé avec Nathalie Delbard).
Avec la participation de Lisa Le Feuvre (commissaire d'exposition, professeure au Goldsmiths College de Londres), Paul Sztulman (ancien chargé de programmation à la Galerie Nationale du Jeu de Paume, professeur d'esthétique à l'Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris), Dork Zabunyan (CEAC, maître de conférences en études cinématographiques à l'université de Lille 3), et la modération de Nathalie Delbard (CEAC, maître de conférences en arts plastiques à l'université de Lille 3).
« Qu'est-ce qu'une mauvaise exposition ? », la question ne se veut en aucun cas condescendante à l'égard de son objet ; elle ne souhaite guère non plus condamner, de façon réactive et globale, une situation contemporaine de l'art et de ses mises en espace. Elle entend plutôt questionner les critères qui permettent de poser en quoi une exposition est un échec (ou par ricochet, indirectement, une réussite). Ce questionnement naît d'un double constat : d'une part, en termes contextuels, l'augmentation considérable du nombre d'expositions parallèlement au phénomène de la mondialisation : en témoignent la multiplication des biennales, l'inauguration continue de nouveaux musées (régionaux, nationaux) ou la création de galeries en quantité toujours plus importante. D'autre part, un discours sur les manifestations artistiques en général qui semble toujours moins discriminant, rejoignant par là même un régime de l'art qui se caractérise pour certains par son « indistinction » (comme l'écrivent différemment Jacques Rancière ou Hal Foster). Tout se passe comme si la surenchère quantitative du premier point s'accompagnait d'un déficit d'évaluation qualitative qui constitue le deuxième. Soulever la question de la « mauvaise exposition », quelles que soient l'ironie présumée de sa formulation et la difficulté avérée à la résoudre, aimerait favoriser l'exploration à nouveaux frais des conditions de possibilité d'une critique des manières de faire de l'exposition.
Deux remarques au moins sont nécessaires en vue de circonscrire une démarche de ce genre. Premièrement, il ne s'agit pas d'établir une appréciation normative des pratiques de l'exposition, comme si la perspective était de parvenir en la matière à l'universalité d'un jugement esthétique. Les critères invoqués seront au contraire immanents à l'exposition et aux types de relations entre les oeuvres qu'elle mobilise, en fonction, aussi, de la nature du lieu que ces oeuvres investissent : musée, centre d'art, lieu alternatif, etc. Si critique il y a, autrement dit, elle devra se situer au niveau des opérations voulues par les artistes (ou les commissaires) que l'exposition donne à voir et éventuellement à entendre : méthode fonctionnaliste, au sens de Gilles Deleuze, soucieuse de savoir « comment ça marche » dans l'espace de monstration sollicité ; le motif institutionnel pourra être convoqué, mais il ne sera pas prééminent au point de transformer l'exigence critique en considération axiologique sur les acteurs de l'art.
Deuxièmement, interroger les critères du mauvais (et du bon) dans le domaine de présentation des oeuvres s'inscrit dans un mouvement en cours d'autonomisation du discours sur l'exposition ; l'exposition devient au fil des années un objet d'étude à part entière, où se multiplient les angles d'approche : sociologique surtout, historienne bien entendu, économique également, esthétique dans une moindre mesure. Il s'agira de privilégier ce dernier point, en faisant au besoin appel aux autres. Aussi, le fait de se placer au niveau de ceux qui font l'exposition permettra d'éviter tout propos essentialiste sur l'art : questionner la dimension sensible de l'expérience de l'exposition en fonction de l'artiste qui la produit (ou du commissaire qui la rend possible) servira de base, en effet, à la détermination des critères de valorisation évoqués, et entraînera la combinaison d'une théorie concrète de l'exposition et de sa critique potentielle. Théorie forcément multiple, qui varie avec son objet - les oeuvres choisies et les matériaux qui les composent, la singularité de l'édifice qui les abrite (ou pas), la disposition de ces oeuvres à l'intérieur de cet édifice, etc. -, ce qui conduit corrélativement à envisager une critique que l'on pourrait qualifier de « constructiviste », sans être pour autant relativiste.
C'est en ce sens que serait évité l'écueil d'un jugement de valeur arbitraire, surplombant et nécessairement abstrait. C'est en ce sens, aussi, que les participants à cette journée d'étude pourront chacun proposer les critères permettant de distinguer une bonne exposition d'une mauvaise, de construire précisément ces critères, de leur offrir une consistance conceptuelle qui éclaire simultanément la pratique de l'exposition à laquelle ils se rapportent, dans la variété de ses manifestations. Ainsi, et positivement, pourront surgir sous un nouveau jour certaines problématiques contemporaines liées par exemple : aux relations contrariées susceptibles d'exister entre la production et la présentation des oeuvres (entre l'atelier et le musée), à la migration des images mouvantes d'un lieu à un autre (de la salle obscure au white cube), aux formes d'archivage qui habitent de plus en plus les espaces d'exposition (jusqu'à rendre indiscernable la frontière entre l'art et ce qui n'en relève pas), aux manières d'accrocher une collection (particulière ou permanente), au caractère didactique d'une scénographie qui anticipe ses effets sur le visiteur, etc. - que l'exposition soit monographique, thématique ou collective.
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